H....... A........ — une nouvelle

L’état de guerre, en ses débuts jusqu’à la phase des prémisses aux accords de paix, se caractérise, ses dimensions technologiques post-modernes exclues, par un retour, chez les humains pris dans la tourmente, à un retour à des modes de vie sociale archaïques, aussi bien lumineux que ténébreux.
L’état de paix, à cet égard, pourrait se comparer à une photo noir et blanc dans laquelle les gris, les nuances et les dégradés abondent ; a contrario, les modes de vie sociale durant l’état de guerre ressemblent aux photographies fortement contrastées : ou lumières, ou ténèbres, et point d’entre-deux. Point de cette grisaille bénéfique, qui rappelle en passant combien, de toutes les couleurs au fond la plus belle, et dont on médit communément le plus, sont les gris.
Ces côtés tranchés de la guerre s’illustre peut-être mieux que l’on ne saurait dire dans une courte tragédie en cinq actes ; très peu de paroles échangées ; quelques mouvements de mains gauches et de mains droites avec la rapidité d’une passe d’armes ; unité de temps enfin, d’action et de lieu : deux personnages opposés aux prises, dont l’un mourra, mais pas le second. Un homme, militaire ou paramilitaire. Une femme. Et qui va se faire violer.
Elle se défend. Comme elle se défend !
Son âge : franchement, l’âge que vous lui donnerez.
Tout à coup, sans qu’elle y eût pris garde, elle avait perdu le contact ; nuitamment, ou n’importe comment ; le fait était que le contact avec les siens, qui fuyaient sous la protection toute relative d’organisations sous-équipées, débordées, était perdu : soudain, dans la nature à peu près muette, sous un ciel par intermittence traversé par des vols ennemis pressés, indifférente à son existence autant que l’était le ciel hautain, s’était imposé sans contredit l’évidence. Seule. Et de ces filaments ténus, brunâtres et verticaux, indices certains de feux de campements auxquels ses yeux pourtant bons savaient pouvoir s’attendre, étrangement pas trace à l’horizon. Ces choses arrivaient dans les zones de non-droit. Les siens avaient disparu sans laisser de trace.
Quand donc, sur ces entrefaites, elle avait d’instinct tout redouté de la venue du véhicule léger, ce petit point carré s’était dirigé vers elle avec un vrombissement de relativement petite cylindrée, cela et ses bruits de tôles déglinguées frisant le ridicule avaient réjoui son cœur. Elle avait espéré, sans certes trop y croire, que ce qui arrivait droit sur elle était l’auto d’un civil ; d’un sauveteur : un miracle ! — Et, tout de même, escompté que la similitude avec une auto du temps de la paix s’avérât la similitude avec un semblant de délivrance, un ennemi fût-il au volant du véhicule léger.
Il s’arrêta. L’homme en descendit. C’était un militaire ; elle aurait voulu s’y connaître, en uniformes, mais l’homme était seul, et donc peut-être officier. Les officiers n’étaient pas des hommes meilleurs, les films mentaient. À moins d’être un officier, se voyait-on confier le volant d’un véhicule léger tel que celui-ci ? Non sans doute. Alors, elle avait pensé que les films mentaient sur les officiers, mais pas sur celui-là. C’était un simple soldat dans lequel un général avait mis sa confiance, estima-t-elle en conclusion. Qu’il fût l’un ou l’autre était moins important d’ailleurs et même indifférent, au regard du fait que dans l’un et l’autre cas, la situation la laissait aux prises avec l’Ennemi.
La conversation s’était engagée dans sa langue à elle. Il en savait suffisamment de mots pour bricoler des phrases, en souriant peut-être de les savoir fautives de bout en bout. Ses « r » roulés n’étaient qu’à lui, insinuants et cocasses comme son sourire. On ne le remarque pas assez, mais d’un pays à l’autre, autant presque que les langues, les manières qu’a l’homme de sourire diffèrent et se distingueraient, seulement l’on n’y prend pas garde, et l’on omet de classer les modes régionaux de sourire comme on apprend, de très bonne heure et sur l’initiative des aînés, à classer les accents.
L’homme avait la manière de sourire de l’ennemi, autant dire qu’elle avait appris à connaître son corps.

 

[Fin de la Nouvelle H....... a........ (2004). Copyright François Jeandé.]