Je cherche où nous sommes. Ici, nous sommes ici. Je déplie la carte et cela fait de la poussière et du bruit : du bruit, ici, il n’y en a pas. Des oiseaux, des abeilles qui zigzaguent en vrombissant, ce n’est pas du bruit ; du vent dans les branches, tout là-haut, puis du soleil dans tout ça, soleil compris, tout semble chanter, ce qui n’est pas du bruit non plus. Mais de la poussière, alors, à foison ; noire, résinée, suiffée, pas désagréable au fond, juste omniprésente, où que l’on se mette et quoiqu’on touche, interrompant de la sorte toute tâche, y compris mentale, et cela parce que le besoin se fait sentir de retourner se laver les mains. Sans cesse, il faudrait lessiver le plancher, brosser les rondins, changer les draps, vider les armoires, colmater le plafond. Les objets sont tenaces ; aucun regard, ici, ne s’y pose sans en obtenir, en retour, et comme une gifle, l’accusation pertinente de les laisser sales et salissants. Je me dis cent fois par jour que l’endroit me plaît, qu’il est paradisiaque, et que je suis content de me laver les mains vingt fois la journée. Je ne fais pas les repas : manière de me revancher, je fais le ménage.
Je déplie la carte et je la replie différemment. Maintenant, je vois ce que je veux de la façon dont je le veux. Là, de l’orée de la forêt, monte la route, et voici la carrière abandonnée qui sert à nos prises de vue. Voici le chalet de Monsieur Tattet, notre plus proche voisin, qui monte les courses et le courrier. C’est appréciable. Un type bizarre, aimable, et dont la foi profonde contredit sa nature plus profonde encore en le contraignant à rendre service à d’aussi parfaits inconnus que nous le sommes pour lui. Quand il arrive, et que nous lui faisons du café, de manière à l’engager à s’incruster, ce qui le culpabilise à notre encontre et l’oblige à tripler ses offres de service, il insiste et se fait tout misérable et penaud, si nous refusons ; mais dissimule aussi très mal le soulagement que lui vaut notre refus, lorsqu’un bref exposé parvient à lui persuader de l’accepter, — soulagement tout momentané toutefois, qu’il paie d’un nouvel accès de sensations coupables. Lorsqu’il s’en va, nous rions. Les gens sont ce qu’ils sont ; je ne crois pas souvent judicieux de tenter de les changer, sauf à désirer les déstabiliser.
Cela sent bon le café, Mousa vient de se lever. Parfois, c’est café, parfois, c’est thé ; j’ai l’habitude du thé, Mousa, le contraire, et maintenant, la voici lancée, le bruit de ses pas, qui viennent et vont, remplissent l’espace avec celui des portes qui battent et des objets et meubles que son passage remue. Quand je me compare — et ce n’est pas la chose à faire, mais c’est pour dire — je fais tout très lentement, tant Mousa fait vite : déjà, la voici, son mug à la main, près de moi, qui pointe de l’index de sa main libre tel ou tel endroit de la carte : les terriers, sa passion. Là, sont les renards, et là, les blaireaux — à chaque virgule, une gorgée de café — ; moi, je hoche la tête, à croire que je suis au courant, comme un professeur d’apprentissage qui fait passer un examen. Des moucherons dansent devant moi, je les chasse, et Mousa poursuit ses explications tout en fumant sa première cigarette, les moucherons s’en vont.

[P... a........ est un roman (2007) Copyright François Jeandé.]